De Bénédicte CENKI, maîtresse de conférence en Géologie à l’Université de Montpellier, rattachée au laboratoire Géosciences Montpellier et Clément BONNET, maître de conférence en sciences économiques à l’Université de Montpellier, rattaché au laboratoire ART DEV.
Nos objets du quotidien, des smartphones aux voitures électriques mais aussi nos technologies dites ‘renouvelables’, comme les éoliennes ou les panneaux solaires, dépendent de ressources minérales qui peuvent être rares et précieuses. Mais savons-nous vraiment d’où elles viennent et à quel prix elles sont extraites ? Avec la transition énergétique, notre besoin en métaux de base et en métaux rares explose. Pourtant, cette dépendance pose des questions économiques, socio-environnementales et stratégiques majeures. Pour y voir plus clair, plongeons dans l’univers fascinant des géosciences et de l’exploration des ressources minérales naturelles.
Des éléments devenus indispensables : pas tous logés à la même enseigne
Nos technologies modernes reposent sur une multitude de métaux, mais tous ne jouent pas le même rôle. Les terres rares, souvent mises en avant dans le débat sur la transition énergétique, ne sont en réalité pas indispensables à toutes les technologies bas-carbone. Elles sont surtout essentielles pour des équipements spécifiques comme les éoliennes offshore à aimants permanents et certains moteurs de voitures électriques, mais elles sont encore plus cruciales pour l’électronique et le numérique : enceintes, écouteurs, GPS, objectifs d’appareils photo, disques durs… Sans terres rares, notre quotidien hyperconnecté s’effondrerait.
Alors, de quoi avons-nous vraiment besoin pour la transition énergétique ? Pas forcément de terres rares en priorité, mais plutôt de lithium, de cobalt et de graphite, dont la demande explose avec l’essor des batteries électriques. Ces métaux sont les véritables piliers de l’électrification des transports et du stockage d’énergie.
L’amalgame est fréquent : on nous dit que la transition énergétique est tributaire d’une exploitation massive de terres rares, comme si c’était un verrou technologique incontournable. Pourtant, personne ne remet en cause le déploiement massif des technologies numériques sous prétexte qu’elles en consomment énormément. En réalité, les défis de l’extraction minière concernent bien plus largement l’ensemble de notre société technologique, pas uniquement les énergies renouvelables.
Si on voulait faire une analogie simple, ce serait comme dire que toutes les voitures ont absolument besoin d’essence pour rouler. En réalité, certaines fonctionnent à l’électricité, d’autres à l’hydrogène, et il existe des alternatives. De la même manière, la transition bas-carbone repose sur plusieurs types de matériaux, avec des besoins variés selon les technologies.
Mais certains de ces éléments sont loin d’être faciles à extraire et à raffiner. Ils sont souvent présents en très faibles concentrations dans la croûte terrestre, les gisements concentrés sont rares ou épuisés, ce qui signifie qu’il faut traiter des quantités colossales de roche pour obtenir de petites quantités de matériaux utilisables. En conséquence, l’extraction de ces métaux est une activité très énergivore et polluante.
Une géographie des ressources en pleine mutation
Pendant les trois dernières décennies, la Chine a dominé la production et la transformation des terres rares notamment, allant jusqu’à représenter 90 % du marché mondial à la fin des années 2000. Cette situation a poussé de nombreux pays à chercher des alternatives pour ne pas dépendre d’un unique fournisseur. Les États-Unis, par exemple, ont réactivé certaines de leurs mines et aujourd’hui, la Chine concentre « seulement » 70 % de la production.
En Europe, la prise de conscience est tardive mais bien réelle. Plusieurs programmes ont été lancés pour inventorier les ressources disponibles et relocaliser certaines activités stratégiques. La France possède des gisements de plomb, de zinc, d’argent et d’aluminium. La mine de Beauvoir en Auvergne pourrait fournir du lithium, un élément clé pour les batteries des véhicules électriques. Si son exploitation était décidée aujourd’hui, elle pourrait démarrer dès 2027-2028, un délai bien plus court que les 15 ans habituellement nécessaires pour ouvrir une nouvelle mine, car l’exploitant se basera sur une carrière de kaolin déjà existante.
Un coût écologique énorme
La production de métaux est une activité extrêmement polluante. Elle consomme entre 8 et 14% de l’énergie mondiale, et cette part est appelée à croître avec la demande croissante en métaux. Les impacts environnementaux incluent :
- une forte pollution de l’eau et des sols en raison de l’utilisation de produits chimiques agressifs pour séparer les éléments recherchés des autres minéraux et métaux,
- une importante production de déchets toxiques, dont certains sont radioactifs,
- une surexploitation des ressources en eau, notamment au Chili, grand producteur de cuivre et de lithium, où l’industrie minière met en péril l’approvisionnement des populations locales.
Face à ces problèmes, plusieurs pistes sont envisagées. Le recyclage est une solution mais il reste marginal pour certains métaux (évalué à moins de 1% pour les terres rares). La sobriété, c’est-à-dire la réduction de notre consommation de ressources, semble être la voie la plus efficace, est donc incontournable.
Peut-on se passer de ces métaux ?
Certaines technologies peuvent être conçues autrement. Par exemple, certaines éoliennes n’utilisent pas de terres rares, mais elles sont moins performantes et nécessitent une maintenance accrue, ce qui est difficilement envisageable pour les parcs éoliens en mer. Certaines voitures électriques n’en contiennent pas. Mais en général, les alternatives impliquent des compromis sur l’efficacité et le coût.
Et si l’on fabriquait ces métaux en laboratoire ? En réalité, ce n’est pas possible. Contrairement au diamant, qui est une simple réorganisation du carbone, les métaux ne peuvent pas être créés à partir de rien. On peut modifier leur structure, les purifier ou les extraire plus efficacement, mais pas les synthétiser artificiellement. Leur production restera donc toujours liée à l’extraction minière ou à l’exploitation de nos mines urbaines.
Quel avenir pour notre approvisionnement ?
L’Europe cherche à réduire sa dépendance en sécurisant ses importations et en investissant dans la transformation des minerais. C’est notamment l’objectif de Critical Raw Material Act qui fixe des objectifs de relocalisation d’une partie des opérations d’extraction, de transformation et de recyclage de métaux critiques. Mais ce processus prend du temps et impose des choix politiques et socio-économiques délicats.
Par ailleurs, certains pays utilisent leurs ressources comme des leviers géopolitiques. La Russie, par exemple, propose des infrastructures énergétiques, comme des centrales nucléaires, à certains pays en échange d’un accès à leurs ressources minières, instaurant un système de troc stratégique.
Faut-il ouvrir de nouvelles mines en France ?
Cette question divise chercheurs, industriels et citoyens. Une « mine responsable » est-elle possible ? Certaines entreprises mettent en place de meilleures pratiques, mais l’impact écologique reste inévitable. En France, le débat reste vif : souhaitons-nous rouvrir des mines et réindustrialiser le pays pour renforcer notre souveraineté et arrêter de délocaliser les conséquences néfastes de notre consommation
En attendant, la meilleure stratégie reste la sobriété : consommer moins, mieux, et allonger la durée de vie de nos produits.