Par Pierrick Labbé, Professeur des Universités, à l’ISEM, Université de Montpellier, spécialiste de l’évolution des moustiques et de la résistance aux insecticides
Ils sont souvent détestés, rarement compris, et pourtant essentiels. Les moustiques, ce sont 3 500 espèces dans le monde, dont une centaine en France. Seule une trentaine piquent les humains, dont une dizaine en France métropolitaine. Et toujours, c’est la femelle qui pique, pour fabriquer ses œufs. Car derrière la nuisance sonore et les piqûres, il y a une stratégie de reproduction finement évoluée.
Des piqûres… mais pour quoi faire ?
La femelle moustique cherche du sang pour permettre à ses œufs de se développer. Elle ne pique pas pour son plaisir ou pour nous embêter ! Le reste du temps, elle et les mâles se nourrissent de nectar. Ce sont même d’importants pollinisateurs qui participent à la biodiversité des plantes. Le moustique, c’est donc un insecte complexe.
Où se cachent les moustiques ?
Ça dépend des espèces ! Pour le moustique des maisons, dont la femelle vient “chanter” dans nos oreilles pendant les belles nuits d’été, le lieu de ponte idéal c’est un bassin d’eau stagnante bien puante (stations d’épuration et autres bassins de rétention)… Pour les petits mais pénibles moustiques tigres qui nous piquent toute la journée dans le jardin, un pot à réserve d’eau, une canette vide, un jouet oublié… voilà tout ce qu’il faut à une femelle pour pondre ! En ville, les terrasses dont l’eau s’évacue mal, les bacs à fleurs et les toitures plates mal conçues sont aussi des gîtes larvaires idéaux. Une astuce pour les amoureux des plantes : mettre du sable à ras-bord pour remplir les coupelles ou le fond à réserve d’eau de vos pots de fleurs. L’eau y reste pour la plante, mais les moustiques ne peuvent plus y pondre.
Vivre en étage, un bon plan ?
Bonne nouvelle si vous habitez en appartement, plus on habite haut, moins on est exposé. Le moustique tigre vole peu en hauteur. Déjà au 3ème étage on est plus tranquille qu’au rez-de-chaussé, au 7e c’est la paix totale ! Mais attention : un ascenseur ouvert peut suffire.
Résistances : quand l’évolution s’emballe
Dans les années 70, essentiellement pour développer le tourisme, on a commencé à traiter massivement le littoral contre les moustiques des étangs. Sauf que très rapidement, on a commencé à voir des moustiques survivre à ces traitements. Ces survivants ont transmis leur résistance à leur descendance, et ainsi de suite générations après générations, jusqu’à ce qu’on observe jusqu’à 100% de moustiques résistants dans la zone traitée. Bref, un exemple simple, clinique, d’évolution par sélection naturelle !
Les moustiques résistants survivent, oui, mais à quel prix ?! Ils sont souvent moins performants, plus fragiles que les moustiques sensibles, et ce sont donc ces derniers qui règnent dans les zones non traitées. C’est le jeu de la sélection naturelle : on n’est pas le meilleur partout et tout le temps !
Notre laboratoire a suivi l’émergence de ces résistances depuis le milieu des années 70, et nous continuons encore chaque année à échantillonner des populations de moustiques de Palavas à Ganges grâce au support continu de l’OSU-OREME. Cela nous a permis et nous permet encore de comprendre les modalités de cette évolution, son rythme, l’impact des changements de traitements, de l’urbanisation, ou encore la nature des mutations responsables de cette résistance.
Parce que ces moustiques résistants sont porteurs de tout plein de mutations étonnantes : enzymes modifiées, duplication de certains gènes, leur biologie a évolué. Mais attention : ce ne sont pas les insecticides qui ont provoqué ces mutations ! Les populations de moustiques se comptent par millions d’individus; tous sont porteurs, par le hasard de la recopie de l’ADN lors de la fabrication des ovules et des spermatozoïdes (et comme chacun d’entre nous), de quelques mutations originales. Lorsqu’on répand un insecticide, ceux qui ont la chance d’avoir les bonnes mutations survivent et se multiplient, les autres meurent…
Traiter moins, pour traiter mieux
Traiter sans cesse, avec toujours la même molécule, c’est s’exposer à une impasse évolutive. Il faut cibler les traitements, les réduire au strict nécessaire, et surtout combiner les approches.
Pour les moustiques des marais, les organismes publics sont les pros ! Pour le moustique des maisons, une bonne raquette électrique suffit le soir, et la moustiquaire reste votre meilleure alliée pour une nuit tranquille! (et les enfants adorent, ça leur fait une cabane ou un lit royal!)
Quant au moustique tigre, le plus simple reste l’action collective ! Mobilisons les quartiers, informons nos voisins: si tout le monde vide les contenants d’eau inutiles qui trainent, l’effet peut être spectaculaire, parce que le moustique tigre se déplace peu: si vous en avez dans votre jardin, les larves sont chez vous où chez vos voisins proches. Le plus beau, c’est que c’est gratuit!
Enfin, apprenons à cohabiter : un piège bien placé, des vêtements longs ou une pergola avec moustiquaire peuvent suffire pour profiter de sa terrasse, et des moustiquaires aux fenêtres (comme en avaient nos grands-parents) les empêchent de rentrer dans la maison. Et quelques piqûres de temps en temps, ça reste supportable…
Biodiversité et moustiques
Parce que sans moustiques, pas d’oiseaux, pas de poissons, pas de batraciens, pas de libellules, moins de fleurs, et pas de recyclage de la matière morte dans les eaux stagnantes… Ils sont à la base de nombreuses chaînes alimentaires. Détruire tous les moustiques revient donc à assécher un écosystème entier. Les chauves-souris, par exemple, en consomment des milliers chaque nuit. Sans moustiques, la Camargue ne serait plus du tout la même, et perdrait la majorité de sa magnifique biodiversité !
Quelques idées reçues écologiques
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Les machines à lumière bleue ? Peu efficaces
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Citronnelle ? Effet très limité et temporaire
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Basilic, huiles essentielles ? Pourquoi pas, mais ce ne sont pas des solutions miracles…
En cas de piqûre ?
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Ne grattez pas ! C’est le meilleur moyen d’aggraver
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La salive peut aider temporairement à soulager… mais c’est essentiellement un effet placebo.
Le moustique, miroir de l’évolution
Ce qui me passionne ? Sa vitesse d’adaptation et ce qu’il m’apprend sur les mécanismes de l’évolution. Contrairement aux dauphins que presque tout-e étudiant-e en écologie (comme je l’ai été) rêve d’étudier, le moustique permet de voir l’évolution en temps réel. En quelques mois, une population peut se transformer. C’est passionnant pour un biologiste de l’évolution! Et c’est quand même nettement plus facile à manipuler: on peut en avoir des milliers dans une petite cage de la taille d’une boîte à chaussure, ce que je ne recommande pas d’essayer avec des dauphins…
Alors oui, le moustique pique, agace, réveille… mais c’est aussi une clé de voûte des écosystèmes. Et un incroyable modèle pour comprendre l’évolution du vivant.