Ecologie et socialité chez les babouins chacma

© Alecia Carter

Le suivi individu-centré de trois groupes de babouins chacma (Papio ursinus) vivant en Namibie dans une savane aride et saisonnière vise à comprendre les mécanismes sociaux déployés en réponse aux variations environnementales.

Contexte

Les mécanismes d’adaptation aux changements environnementaux peuvent être profondément affectés par la socialité, qui altère la quasi-totalité des pressions de sélection auxquelles les organismes sont soumis (Clutton-Brock and Huchard, 2013). La vie sociale peut par exemple contribuer à tamponner les variations de disponibilité alimentaire, à travers des comportements coopératifs facilitant la détection, la mise en commun ou la défense communale des ressources (Wrangham, 1980; van Schaik, 1989). A l’inverse, la vie sociale peut accentuer les variations de disponibilité alimentaire à travers la compétition alimentaire. Enfin, les travaux de recherches s’accumulent pour montrer que l’intégration sociale influence positivement et fortement la valeur sélective des individus chez les espèces sociales, sans que les mécanismes mis en jeux soient bien identifiés (Silk et al., 2003; Cheney et al., 2016; Archie et al., 2014) ; il se peut qu’une interaction directe entre écologie et socialité contribue à l’émergence de tels effets.

Depuis 2005 nous étudions les babouins chacma (Papio ursinus) au Tsaobis Nature Park, en Namibie centrale, aux marges du désert du Namib, à travers un suivi individu-centré détaillé se focalisant sur l’histoire de vie et le comportement de trois groupes de babouins sauvages (environ 20, 60 et 70 individus en 2017, respectivement) (par ex., Cowlishaw, 1997; Huchard and Cowlishaw, 2011; Huchard et al., 2013). Les babouins sont éminemment sociaux (caractérisés par un répertoire de comportements sociaux riche et complexe), omnivores et vivent dans un environnement de savane aride et saisonnière, caractérisé par une forte variation inter-annuelle des précipitations. Les babouins se reproduisent toute l’année malgré la saisonnalité environnementale, et notre suivi démographique a montré une forte sensibilité de la démographie de notre population d’étude aux variations climatiques, avec une mortalité importante lors de périodes de grande sécheresse (jusqu’à 60% des individus d’un groupe peuvent disparaître en moins d’un an), et un fort accroissement démographique pendant les périodes favorables (pers. obs.). L’intensité de telles variations peut sembler surprenante pour une espèce longévive avec un intervalle entre naissances de plus de 18 mois où chaque femelle donne naissance à un seul enfant à la fois – des traits d’histoire de vie qui déterminent un taux de reproduction relativement bas.

Objectifs

Nous souhaitons comprendre les mécanismes sociaux déployés face à de telles variations environnementales et leurs conséquences démographiques, sur une échelle écologique comme évolutive. Notre étude s’attachera donc à comprendre l’influence

  • des variations climatiques sur la démographie des babouins (reproduction et survie) ;
  • des variations climatiques sur la structure des réseaux sociaux ;
  • et des relations sociales – et en particulier de l’intégration sociale – sur la démographie.

Nous mettrons donc en relation variations environnementales (climatiques et de productivité végétale) avec les variations structurelles des réseaux sociaux, à travers des analyses individu-centrées.

Observations

Depuis 2005, en collaboration avec l’Institut de Zoologie de Londres qui co-coordonne le Tsaobis Baboon Project, nous suivons la démographie, l’histoire de vie et le comportement de deux groupes de babouins (50 et 70 individus, respectivement, en 2018) ainsi que d’un troisième groupe issu de la fission d’un de nos groupes initiaux depuis 2016.

Les groupes sont habitués à la présence d’observateurs humains et notre suivi est quotidien et continu pendant les saisons de terrain (trois à six mois par an, du lever au coucher du soleil), avec la collecte d’observations comportementales et démographiques détaillées (Carter et al., 2015, 2016; Huchard et al., 2013).

Les données comportementales sont collectées sur la base d’une combinaison d’observations focales (centrées sur un individu) et ad libitum (pour les comportements visibles et peu fréquents comme les interactions agressives), permettant de suivre avec précision la fréquence de certains comportements importants (interactions agressives et affiliatives) et d’établir la position de chaque individu dans le réseau social (Carter et al., 2015, 2016).

Les babouins sont également occasionnellement capturés, et sont alors pesés et mesurés afin de calculer un indice de condition corporelle (Huchard et al., 2009, 2010a). Nous effectuons aussi des prélèvements de poils et de sang pour mener des analyses (1) génétiques en vue d’établir le pedigree de la population (Huchard et al., 2010b), (2) hormonales pour mesurer le stress physiologique (cortisol) et nutritionnel (hormone thyroïdienne T3), et (3) isotopiques pour identifier les différences nutritionnelles inter-individuelles.

Nous collectons des données spatiales (un point toutes les 30 minutes) lorsque nous sommes avec les groupes (Baniel et al., 2018), et allons équiper un individu de chaque groupe d’un collier GPS pour suivre leurs mouvements en notre absence.

Enfin, un suivi phénologique mensuel permet de documenter les variations spatio-temporelles des principales ressources alimentaires (peu nombreuses à Tsaobis) des babouins sur leur domaine vital (Huchard et al., 2013).

Variables Essentielles de Biodiversité :

  • Co-ancestry
  • Population structure by age/size class
  • Phenology
  • Body mass
  • Demographic traits
  • Physiological traits

Données

Les données qui seront mises en ligne correspondent à :

  • l’évolution temporelle de l’utilisation de l’espace (domaine vital) par les babouins,
  • l’évolution temporelle des ressources alimentaires, approximées par des données NDVI estimant la production végétale à partir d’image satellite pour la même période et les mêmes domaines vitaux,
  • ainsi que l’évolution temporelle de plusieurs métriques calculées à l’échelle du groupe à partir des réseaux sociaux.

Une analyse de long-terme visant à tester l’importance relative de l’intégration sociale et de la disponibilité alimentaire (estimée à partir de données NDVI) est en cours et viendra compléter ces données dès qu’elle sera finalisée.

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Contacts

  • Elise Huchard (Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier)
  • Alecia Carter (Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier)

Collaborations

Fondateur du Tsaobis Baboon Project et co-coordinateur: Guy Cowlishaw, Institute of Zoology, Londres

Long-term collaborator: Harry Marshall, University of Roehampton, Londres

Long-term collaborator: Alice Baniel, University of Stony Brook, New York

Valorisation

Baniel A, Cowlishaw G, Huchard E (2018) Context-dependence of female reproductive competition in wild chacma baboons. Animal Behaviour 139: 37-49 · DOI 10.1016j.anbehav.2018.03.001

Lee AEG, Cowlishaw G (2017) Switching spatial scale reveals dominance-dependent social foraging tactics in a wild primate. PeerJ 5:e3462  ·  DOI 10.7717/peerj.3462

Baniel A, Cowlishaw G, Huchard E (2016) Stability and strength of male-female associations in a promiscuous primate society. Behav. Ecol. Sociobiol.70: 761-775  ·  DOI 10.1007/s00265-016-2100-8

Carter AJ, Ticó MT, Cowlishaw G (2016) Sequential phenotypic constraints on social information use. eLife 5: e13125  ·  DOI 10.7554/eLife.13125

Carter AJ,Lee AEG, Marshall HH, Tico MT, Cowlishaw G (2015) Phenotypic assortment in wild primate networks: implications for the dissemination of information. Royal Society Open Science 2: 140444  ·  DOI 10.1098/rsos.14044

Marshall HH, Carter AJ, Ashford A, Rowcliffe JMR, Cowlishaw G (2015) Social effects on foraging behaviour and success depend on local environmental conditions. Ecology and Evolution  5: 475-492  ·  DOI 10.1002/ece3.1377

Castles M, Heinsohn R, Marshall HH, Lee A, Cowlishaw G, Carter AJ (2014) Social networks created with different techniques are not comparable. Animal Behaviour 96: 59-67.

Huchard E, Charpentier MJ, Marshall H, King AJ, Knapp LA, Cowlishaw G. (2013) Paternal effects on access to resources in a promiscuous primate society. Behavioural Ecology 24: 229-236.