Les vautours fauves présentent des traits d’histoire de vie caractéristiques des espèces à « cycle lent » : maturité sexuelle tardive (4 ans), faible taux de reproduction (1 poussin par an), grande longévité (>20 ans). En conséquence, d’après la théorie d’Histoire de vie, il est attendu qu’ils répondent aux modifications de leur environnement en ajustant leur taux de reproduction tout en maintenant un taux de survie adulte très élevé. Une des variables d’ajustement devrait alors être le comportement de recherche alimentaire : les vautours modifiant les zones prospectées et les sites d’alimentation utilisés en fonction de la disponibilité en ressources alimentaires. La particularité de ce modèle d’étude est la forte dépendance de cette espèce sauvage envers le bétail, donc les activités agricoles, et notamment la législation encadrant les pratiques d’équarrissage. Ainsi, dans nos sociétés modernes, les fluctuations naturelles des ressources alimentaires (ici la mortalité dans les troupeaux) sont de moindre importance que les mesures sanitaires permettant ou interdisant les dépôts de carcasses dans la nature à disposition des vautours.
Les vautours font partie des rares grandes espèces menacées procurant un service écosystémique direct aux activités humaines. Depuis l’Antiquité, ils permettent aux éleveurs des zones de montagne de recycler rapidement, gratuitement et écologiquement des carcasses du bétail. Alors que ce lien entre vautours et éleveurs a été un temps interrompu en France du fait de la disparition des vautours (poison, persécution), il a perduré en Espagne, en Asie et en Afrique. Depuis les années 1970, plusieurs programmes de conservation des vautours fauves ont eu lieu en France (protection légale dans les Pyrénées, réintroduction dans les Causses (1981-86) puis dans les Alpes du Sud (1996-2005)). Ces programmes comptent parmi les plus grands succès mondiaux des opérations de réintroduction : d’une quinzaine de couples dans les années 70 dans les Pyrénées, la population française de vautours fauves compte à présent plus d’un millier de couples, dont la moitié dans les populations réintroduites (Duriez & Issa 2015). Paradoxalement, actuellement, les populations réintroduites sont en forte croissance (+14% par an) alors que la population native des Pyrénées est en légère diminution. La raison semble être d’ordre alimentaire et liée aux pratiques d’équarrissage.
Dans les populations réintroduites, les autorités sanitaires départementales ont légalement permis le dépôt des carcasses sur des charniers (gérés par des agents d’espaces naturels protégés ou des associations de protection de la nature) ou sur des placettes d’équarrissage naturel (gérées par les éleveurs eux-mêmes). Dans les Pyrénées, les vautours ont pour habitude de s’alimenter sur le versant français (où ces dépôts de carcasses sont tolérés en zone de haute montagne) mais aussi sur le versant espagnol (notamment autour des abattoirs industriels). La crise de la « Vache folle » et autres Encéphalopathies Spongiformes Transmissibles (EST) a eu pour conséquence la fermeture généralisée de ces charniers d’abattoirs en 2007 en Espagne. Les répercussions sur les populations de vautours pyrénéens ont été rapides : chute drastique du succès de reproduction (de 75% à 30%), forte mortalité de vautours (jeunes surtout mais aussi d’adultes), et surtout modification des comportements d’alimentation (Margalida et al., 2011). Ainsi de nombreuses rumeurs et plaintes d’attaques ont été largement véhiculées par les médias (Arthur and Zenoni, 2010).
C’est dans ce contexte qu’un nouveau Plan National d’Action Vautour Fauve et Activités d’élevage va être opérationnel entre 2016 et 2026, en collaboration avec les scientifiques (François Sarrazin, UMR7204 MNHN-CNRS-UPMC, Paris et Olivier Duriez, UMR5175 CEFE, Montpellier). Ce PNA insiste sur la nécessité de poursuivre les suivis de dynamique des populations et de mouvements individuels dans les différentes populations françaises.
Par ailleurs, il est particulièrement pertinent de poursuivre, voire intensifier, les suivis sur les vautours fauves car ils constituent l’espèce clé-de-voûte de la guilde des rapaces nécrophages autour du Bassin Méditerranéen. En Europe, il existe trois autres espèces de vautours : le Vautour moine (Aegypius monachus), le Vautour percnoptère (Neophron percnopterus) et le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus). Ces trois espèces sont plus menacées au niveau national et européen et ont des effectifs plus faibles que les vautours fauves. Elles bénéficient donc de suivis plus intensifs et de moyens financiers plus conséquents pour leur conservation. Pourtant toutes dépendent directement ou indirectement des vautours fauves pour leur survie. Chaque espèce a un régime alimentaire propre : alors que le vautour fauve consomme majoritairement les chairs molles (viscères et muscles) des grosses carcasses d’ongulés, les autres espèces consomment les tendons, les cartilages, les os et les restes disséminés. Pour faire simple, sur une carcasse de brebis, on compte approximativement 40 kg de chairs molles, qui peuvent nourrir une cinquantaine de vautours fauves, mais les restes de la carcasse ne suffisent à nourrir que quelques individus des autres espèces. Les vautours fauves ont un rôle de facilitateur pour ces autres espèces car ils découvrent généralement les cadavres en premier, en consomment les parties molles, puis les laissent accessibles aux autres espèces. Enfin, lors de leurs déplacements à grande distance, régulièrement entre les différents massifs montagneux à plusieurs centaines de km de distance, les groupes de vautours fauves « entrainent » souvent avec eux quelques individus des autres espèces (notamment vautours moines). Ils participent ainsi à la dispersion et à la recolonisation de nouveaux territoires par les autres espèces.