Vautours fauves

© CNRS Photothèque / SARRAZIN François
© CNRS Photothèque / SARRAZIN François

Les vautours fauves présentent des traits d’histoire de vie caractéristiques des espèces à « cycle lent » : maturité sexuelle tardive (4 ans), faible taux de reproduction (1 poussin par an), grande longévité (>20 ans). En conséquence, d’après la théorie d’Histoire de vie, il est attendu qu’ils répondent aux modifications de leur environnement en ajustant leur taux de reproduction tout en maintenant un taux de survie adulte très élevé. Une des variables d’ajustement devrait alors être le comportement de recherche alimentaire : les vautours modifiant les zones prospectées et les sites d’alimentation utilisés en fonction de la disponibilité en ressources alimentaires. La particularité de ce modèle d’étude est la forte dépendance de cette espèce sauvage envers le bétail, donc les activités agricoles, et notamment la législation encadrant les pratiques d’équarrissage. Ainsi, dans nos sociétés modernes, les fluctuations naturelles des ressources alimentaires (ici la mortalité dans les troupeaux) sont de moindre importance que les mesures sanitaires permettant ou interdisant les dépôts de carcasses dans la nature à disposition des vautours.

Les vautours font partie des rares grandes espèces menacées procurant un service écosystémique direct aux activités humaines. Depuis l’Antiquité, ils permettent aux éleveurs des zones de montagne de recycler rapidement, gratuitement et écologiquement des carcasses du bétail. Alors que ce lien entre vautours et éleveurs a été un temps interrompu en France du fait de la disparition des vautours (poison, persécution), il a perduré en Espagne, en Asie et en Afrique. Depuis les années 1970, plusieurs programmes de conservation des vautours fauves ont eu lieu en France (protection légale dans les Pyrénées, réintroduction dans les Causses (1981-86) puis dans les Alpes du Sud (1996-2005)). Ces programmes comptent parmi les plus grands succès mondiaux des opérations de réintroduction : d’une quinzaine de couples dans les années 70 dans les Pyrénées, la population française de vautours fauves compte à présent plus d’un millier de couples, dont la moitié dans les populations réintroduites (Duriez & Issa 2015). Paradoxalement, actuellement, les populations réintroduites sont en forte croissance (+14% par an) alors que la population native des Pyrénées est en légère diminution. La raison semble être d’ordre alimentaire et liée aux pratiques d’équarrissage.

Dans les populations réintroduites, les autorités sanitaires départementales ont légalement permis le dépôt des carcasses sur des charniers (gérés par des agents d’espaces naturels protégés ou des associations de protection de la nature) ou sur des placettes d’équarrissage naturel (gérées par les éleveurs eux-mêmes). Dans les Pyrénées, les vautours ont pour habitude de s’alimenter sur le versant français (où ces dépôts de carcasses sont tolérés en zone de haute montagne) mais aussi sur le versant espagnol (notamment autour des abattoirs industriels). La crise de la « Vache folle » et autres Encéphalopathies Spongiformes Transmissibles (EST) a eu pour conséquence la fermeture généralisée de ces charniers d’abattoirs en 2007 en Espagne. Les répercussions sur les populations de vautours pyrénéens ont été rapides : chute drastique du succès de reproduction (de 75% à 30%), forte mortalité de vautours (jeunes surtout mais aussi d’adultes), et surtout modification des comportements d’alimentation (Margalida et al., 2011). Ainsi de nombreuses rumeurs et plaintes d’attaques ont été largement véhiculées par les médias (Arthur and Zenoni, 2010).

C’est dans ce contexte qu’un nouveau Plan National d’Action Vautour Fauve et Activités d’élevage va être opérationnel entre 2016 et 2026, en collaboration avec les scientifiques (François Sarrazin, UMR7204 MNHN-CNRS-UPMC, Paris et Olivier Duriez, UMR5175 CEFE, Montpellier). Ce PNA insiste sur la nécessité de poursuivre les suivis de dynamique des populations et de mouvements individuels dans les différentes populations françaises.

Par ailleurs, il est particulièrement pertinent de poursuivre, voire intensifier, les suivis sur les vautours fauves car ils constituent l’espèce clé-de-voûte de la guilde des rapaces nécrophages autour du Bassin Méditerranéen. En Europe, il existe trois autres espèces de vautours : le Vautour moine (Aegypius monachus), le Vautour percnoptère (Neophron percnopterus) et le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus). Ces trois espèces sont plus menacées au niveau national et européen et ont des effectifs plus faibles que les vautours fauves. Elles bénéficient donc de suivis plus intensifs et de moyens financiers plus conséquents pour leur conservation. Pourtant toutes dépendent directement ou indirectement des vautours fauves pour leur survie. Chaque espèce a un régime alimentaire propre : alors que le vautour fauve consomme majoritairement les chairs molles (viscères et muscles) des grosses carcasses d’ongulés, les autres espèces consomment les tendons, les cartilages, les os et les restes disséminés. Pour faire simple, sur une carcasse de brebis, on compte approximativement 40 kg de chairs molles, qui peuvent nourrir une cinquantaine de vautours fauves, mais les restes de la carcasse ne suffisent à nourrir que quelques individus des autres espèces. Les vautours fauves ont un rôle de facilitateur pour ces autres espèces car ils découvrent généralement les cadavres en premier, en consomment les parties molles, puis les laissent accessibles aux autres espèces. Enfin, lors de leurs déplacements à grande distance, régulièrement entre les différents massifs montagneux à plusieurs centaines de km de distance, les groupes de vautours fauves « entrainent » souvent avec eux quelques individus des autres espèces (notamment vautours moines). Ils participent ainsi à la dispersion et à la recolonisation de nouveaux territoires par les autres espèces.

Objectifs

Le but du programme est de travailler à une meilleure compréhension de la réponse des populations animales à la variabilité de leur environnement. Plus spécifiquement, il vise à suivre la dynamique des populations et les mouvements des individus de vautours fauves Gyps fulvus dans le sud de la France en lien avec leur utilisation des charniers où sont déposées les carcasses d’animaux domestiques.

Observations

Dynamique des populations

Depuis le début des programmes de conservation des vautours fauves dans les années 1970-1980, le suivi repose sur deux approches :

  • Suivi de la reproduction : dénombrement des nids par un suivi hebdomadaire des colonies (date de ponte, date d’éclosion, date d’envol du poussin)
  • Marquage individuel, aussi bien des poussins (au nid à l’âge de 60-80 jours) que des vautours adultes : pose d’une bague métallique individuelle, référencée au CRBPO, Museum national d’Histoire naturelle ; et d’une bague plastique codée / colorée permettant une identification à distance.

Le baguage des poussins s’effectue en descendant en rappel dans les nids (cf photo), alors que les adultes sont capturés dans des pièges / nasses sur les sites d’alimentation.

Le programme de marquage des poussins n’est rendu possible que par le suivi de la reproduction qui permet de connaître précisément la date d’éclosion à ±2 jours et donc de descendre sur le nid uniquement à la période propice au baguage (avant 60 jours, le poussin est trop petit pour recevoir la bague ; après 80 jours, il a des plumes déjà bien formées et risquerait un envol prématuré du nid).

Alors que le suivi de la reproduction permet de calculer le succès de la reproduction (nombre de poussins envolés divisé par le nombre de pontes déposées), le marquage individuel permet d’estimer des taux annuels de survie, mais aussi d’appréhender les mouvements des individus lors de leur dispersion ou de leurs voyages alimentaires.

Ces données de suivi de la reproduction, survie et dispersion permettent d’alimenter des modèles complexes de dynamique des populations permettant d’estimer la viabilité des populations à long terme, mais aussi l’impact de différents scénarios de gestion de l’équarrissage à la fois sur les populations de vautours et sur le service rendu par les vautours auprès des éleveurs. Pour les acteurs de la conservation, l’évolution du taux de reproduction et de survie annuel des adultes et des jeunes oiseaux peut permettre de diagnostiquer un problème d’ordre alimentaire et d’agir rapidement en conséquence. Ce suivi de reproduction et marquage des oiseaux est réalisé par nos partenaires de la Ligue pour la Protection des Oiseaux – Antenne Grands Causses, et les agents du Parc national des Cévennes.

Vautour portant une balise GPS à panneau solaire
Vautour portant une balise GPS à panneau solaire

Mouvements individuels

Depuis juin 2010, un programme pionnier de suivi de vautours fauves adultes et immatures a lieu dans les Grands Causses (Aveyron, Lozère).

42 vautours ont été équipés de balises GPS : 20 balises « Technosmart » à batterie interne non rechargeable (Gipsy 2) et 22 balises « UvA-BiTS » à panneaux solaires.

Dans les deux cas, les données sont téléchargées à distance par réseau sans fil (respectivement technologies Bluetooth et Zigbee). Les deux systèmes procurent un suivi très précis des déplacements locaux (jusque 1 position par minute en été ; 1 position par heure en hiver pour les balises à panneau solaire). Les données récoltées sont :

  • La position géographique (précision <10m)
  • L’altitude (précision <20m)
  • La vitesse instantanée
  • Le comportement actif / inactif via un accéléromètre 3D

Ces données permettent d’analyser la distance parcourue par jour, l’altitude moyenne et maximale de vol, la taille des domaines vitaux, et surtout l’utilisation des sites d’alimentation, les comportements exploratoires et de dispersion.

D’autres suivis ont débuté dans le Parc national des Pyrénées et dans les Alpes du Sud depuis 2013 et 2015.

Données

Dynamique des populations

Une synthèse du suivi de la reproduction (nombre de pontes et nombres de poussins envolés), ainsi que le nombre d’oiseaux marqués (jeunes et adultes) est écrite et diffusée une fois par an pour chaque site (Causses, Parc des Pyrénées, Baronnies, Vercors, Verdon) et compilée lors de la réunion annuelle de Groupe Vautours France (GVF).

Les données traitées sont accessibles via des articles scientifiques.

Les données brutes sont saisies et gérées par nos partenaires de la Ligue pour la Protection des Oiseaux – Antenne Grands Causses, et les agents du Parc national des Cévennes et stockées au MNHN (UMR7204 – CERSP) dans une base de données commune à tous les programmes de marquage de vautours en France, avec saisie des données en ligne, aussi bien pour les données de baguage (accessible uniquement aux titulaires des programmes de marquage) que pour les données d’observations réalisées par le grand public et les ornithologues amateurs.

Ces données sont accessibles conjointement par le MNHN et le CEFE mais sont analysées prioritairement par le MNHN. Les données sont également partagées avec les agents de terrain de la LPO et du Parc national des Cévennes.

Résultats

Dans les Causses, la population de vautours suit une croissance proche de l’exponentielle, avec un taux d’accroissement de l’ordre de 10% par an. En 2015, on dénombrait 498 pontes et 372 poussins à l’envol, soit un succès reproducteur de 0.75 (figure ci-dessous). Le succès reproducteur est stable depuis les années 2000, ne suggérant aucun problème d’ordre alimentaire dans cette région.

Suivi de reproduction sur les Causses
Suivi de reproduction sur les Causses

Les taux de survie sont également stables et contant dans le temps : 0.64 pour la première année, 0.89 pour la 2eme année, 0.93 pour la 3eme année, et 0.965 pour les oiseaux matures de 4 ans et au-delà (Duriez, non publié).

Mouvements

Les balises GPS ont été financées par différents programmes :

  • ANR SOFT-POP, 2008-2011, dont F Sarrazin était le porteur de projet : déploiement dans les Causses entre 2010 et 2011
  • Parc national des Pyrénées (dans le cadre de la thèse de doctorat de Julie Fluhr (2014-2017)) : déploiement dans la Réserve Naturelle Nationale d’Ossau en 2013-2015 ;
  • Max Plank Institute for Ornithology (Pr Martin Wikelski) et MNHN (thèse de doctorat de Leyli Borner) : déploiement dans le Parc naturel régional des Barronies en 2015-2016

Une convention de partage des données et du matériel est en cours de rédaction entre le MNHN et le CEFE.

Les données brutes des déplacements des vautours suivis par GPS sont stockées sur une base de données en ligne sécurisée à l’UvA et dans Movebank. Les données sont visualisables en ligne en quasi-direct (3 derniers jours de suivis de 10 derniers oiseaux ayant téléchargé les données).

Visualiser les données

Quelques résultats des suivis télémétriques

Les domaines vitaux individuels mesurent en moyenne 1000 km² mais varient entre individus de 300 à 3000 km². Le domaine vital global des vautours dans les Grands Causses mesure autour de 10000 km² (figure ci-dessous).

Les déplacements se concentrent essentiellement autour des colonies principales, vers le sud-ouest du Causse Méjean (confluence Jonte-Tarn) et le Causse Noir, ainsi que dans la vallée de la Dourbie. Les Causses Méjean et Sauveterre sont très prospectés, ainsi qu’une zone plus au nord autour de Mende et Marvejols.

La distance moyenne parcourue par jour est de l’ordre de 100 km. Cependant il existe de fortes variations entre individus. La distance maximale parcourue a été de 350 km en une journée. La vitesse moyenne de déplacement est de 21 km/h, mais cette vitesse inclue les temps de montée dans les ascendances thermiques, et des vols de transition où la vitesse instantanée est en moyenne supérieure à 60 km/h, mais avec des pointes mesurées à 140 km/h. L’altitude de vol est importante, en moyenne 300 m au-dessus du sol, mais un oiseau a été enregistré à plus de 3500m au-dessus du niveau de la mer, soit plus de 2000 m au-dessus du sol.

Vautours fauves figure 2
Domaine vital global des vautours fauves dans les grands Causses, obtenus à partir de suivis individuels par télémétrie GPS de 25 vautours. Plus la couleur est rouge, plus la zone est fréquentée par un grand nombre d’individus

 

Variables Essentielles de Biodiversité (EBV) :

  • Population abundance
  • Population structure by age/size class
  • Body mass
  • Demographic traits
  • Migratory behavior
  • Natal dispersion distance
  • Phenology

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Contacts

Valorisation scientifique

Bosè, M., Duriez, O., Sarrazin, F., 2012. Intra-specific competition in foraging griffon vultures: 1. The dynamics of feeding in groups. Bird Study 59, 182-192.

Bosè, M., Le Gouar, P., Arthur, C., Lambourdière, J., Choisy, J.P., Henriquet, S., Lécuyer, P., Richard, M., Tessier, C., Sarrazin, F., 2007. Does sex matter in reintroduction of griffon vultures Gyps fulvus? Oryx 41, 503-508.

Bosè, M., Sarrazin, F., 2007. Competitive behaviour and feeding rate in a reintroduced population of Griffon Vultures Gyps fulvus. Ibis 149, 490-501.

Chantepie, S., Teplitsky, C., Pavard, S., Sarrazin, F., Descaves, B., Lecuyer, P., Robert, A., 2016. Age-related variation and temporal patterns in the survival of a long-lived scavenger. Oïkos 125, 167-178.

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Duriez, O., Eliotout, B., Sarrazin, F., 2011. Age identification of Eurasian griffon vultures in the field. Ringing and Migration 26, 24-30.

Duriez, O., Herman, S., Sarrazin, F., 2012. Intra-specific competition in foraging griffon vultures: 2. the influence of supplementary feeding management. Bird Study 59, 193-206.

Le Gouar, P., Rigal, F., Boisselier-Dubayle, M.C., Sarrazin, F., Arthur, C., Choisy, J.P., Hatzofe, O., Henriquet, S., Lécuyer, P., Tessier, C., Susic, G., Samadi, S., 2008. Genetic variation in a network of natural and reintroduced populations of Griffon vulture (Gyps fulvus) in Europe. Conservation Genetics 9, 349-359.

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Sarrazin, F., Bagnolini, C., Pinna, J.-L., Danchin, E., 1996. Breeding biology during establishment of a reintroduced Griffon Vulture Gyps fulvus population. Ibis 138, 315-325.

Sarrazin, F., Legendre, S., 2000. Demographic Approach to Releasing Adults versus Young in Reintroductions. Conservation Biology 14, 488-500.

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Remerciements

Ce programme ne pourrait être mené à bien sans l’aide de nos partenaires de la Ligue pour la Protection des Oiseaux – Antenne Grands Causses, et les agents du Parc national des Cévennes.